Germaine Kanova, une photographe au parcours inspirant.

Pourquoi devenir photographe s’était imposé à moi comme une évidence ?

Parce que je regarde depuis toujours avec fascination les portraits que Germaine Kanova a faits de sa nièce, ma grand-mère, à son studio de Londres. Que j’en admire la maîtrise et la lumière qui s’en dégage. Et parce que je crois que chacun mérite de posséder et transmettre une image magnifiée de sa personne.

Portrait de Françoise Osstyn par la photographe Germaine Kanova
Portrait de ma grand-mère Françoise Osstyn – Photographe © Germaine Kanova (Germaine Sophie Osstyn)

Comme toutes les femmes que Germaine a inspirées ou formées, telle Dorothy Bohm (jeune juive lituanienne exilée en Angleterre, devenue ensuite une célèbre photographe), c’est en regardant les portraits de Germaine que j’ai su que je voulais devenir à mon tour photographe.
Germaine Kanova, née Germaine Sophie Osttyn le 31 août 1902, possédait à Londres un studio photographique renommé où se pressaient les célébrités du monde entier.

autoportrait de Germaine Kanova, 1ère femme reporter de guerre de l'armée française. Photo prise à son studio de Londres en 1943
Autportrait de la photographe © Germaine Kanova (Germaine Sophie Osstyn)
Tampon du studio photo de Londres

Tampon du Studio au dos des portraits

Germaine Kanova félicitée par le Général de Gaulle

Devenue la photographe officielle des Forces Françaises Libres (FFM), Germaine n’a pas hésité à fermer son studio prospère pour venir en France et s’engager comme 1ère femme reporter de guerre au sein du Service Cinématographique des Armées (SCA). Passant des salons feutrés où elle recevait la noblesse londonienne, les artistes en vogue et les hommes politiques, à la boue dans laquelle elle rampait aux côtés des soldats.

Dans son livre d’or, le Général de Gaulle écrivait le 19 décembre 1942, « A Madame Kanova, artiste notoire et bonne Française »

Dédicace du Général de Gaulles dans le livre d'or de Germaine Kanova

Dédicace du Général de Gaulle

Inconnue jusqu’à présent du grand public, Germaine Kanova a pourtant été une femme héroïque.

Germaine Kanova a reçu la Croix de Guerre avec étoile de bronze pour son courage et son sang-froid : « A participé aux opérations en Allemagne auprès du 2e bataillon de zouaves portés. […] Le 26 avril à Futzen, elle n’a pas hésité à venir jusqu’aux éléments engagés en premier échelon dans un combat très difficile et meurtrier pour y accomplir crânement sa mission. Par son courage et son sang-froid, a réussi à obtenir des documents cinématographiques d’un intérêt exceptionnel ».

Germaine Kanova entre dans le camp Vaihingen le 13 avril 1945, quelques jours à peine après sa libération, et y découvre l’horreur du système concentrationnaire nazi. Un « spectacle horrible et innommable » qui n’a cessé de la hanter et dont elle restera profondément affectée. Germaine avait rapporté de son long périple un drapeau nazi dont elle se servait de paillasson, et sur lequel, après-guerre, ses visiteurs étaient priés de s’essuyer les pieds.

 

Un article de presse d’octobre 1956, raconte Germaine Kanova :

 «Ces quelques lignes ne peuvent pas vous faire connaître Germaine Kanova.

Pour la découvrir, il faut passer de longues heures auprès d’elle, l’écouter, admirer les milliers de photos qu’elle a prises.

Née à Boulogne-sur-Mer, elle consacre sa jeunesse au piano. Premier prix du Conservatoire, elle se marie et vit à Londres. Elle part pour Vienne et apprend la photo et le portrait d’art.

Elle voit, peu à peu, naître et se développer le rythme hitlérien.

Après l’Anschluss, elle passe 34 fois la frontière à skis, aidant les exilés.

C’est à nouveau Londres, puis de grands reportages en Egypte, en Grèce, Turquie.

A son retour, le monde entre en guerre. Aussitôt volontaire, elle s’occupe des enfants, les éloigne des points stratégiques.

Portraitiste, journaliste, elle vit avec les soldats de la France Libre en tant que photographe officiel du gouvernement de Londres. Ses photos, plus de 2,000 prises sur les côtes d’Europe, aident les tacticiens du débarquement : carte de correspondante de presse signée Koenig et Eisenhower, elle suit toutes les phases du débarquement : Bayeux, Arromanches ! ! !

Le 31 août, jour de son anniversaire, elle retrouve sa famille puis part pour Paris. Elle est ensuite à Rodez, à la Pointe de Grave aux côtés des Polonais des poches, dans le maquis de la Dordogne, Tous les journaux s’arrachent ses photos.

Avec Leclerc, elle entre à Strasbourg et réalise le plus émouvant reportage de sa vie : « La première leçon de Français dans les écoles d’Alsace ». Pour le ministère de la Guerre et les services cinématographiques de l’armée, elle part avec Leclerc, abandonnant à la Croix-Rouge Française ses droits d’auteur.

Puis, c’est un périple avec de Lattre, le 2e zouaves : c’est ensuite le Rhin, l’Allemagne, la Pologne, le Struthof, Dachau, Vaihingen, Auschwitz, Buchenwald.

Vous avez tous vu les photos de Germaine Kanova dans « Nuit et Brouillard ».

Jamais sa signature n’apparaît. Pourtant, c’est elle qui était là, qui filmait des fresques de cadavres nus, ces enfants mutilés, ces hommes décharnés, avilis, ces yeux de bêtes peureuses, la famine, les souffrances, le crime abject des sauvages aryens.

Pour une femme, cette vision était effrayante.

Le cauchemar n’est pas oublié : lorsque ses amis du tout Paris théâtral, cinématographique, littéraire, musical, viennent la voir, elle leur montre ces documents d’horreur que bien des hommes devraient méditer.

Puis, ils parlent cinéma, car Germaine Kanova est photographe de publicité.

C.B. »

Article de journal de 1956 - Parcours de la photographe Germaine Kanova

Germaine est décédée en 1975 et depuis bientôt 50 ans, ses archives dormaient dans des cartons d’un grenier familial. Une découverte d’une exceptionnelle qualité.

Si vous avez le cœur bien accroché vous pouvez consulter une partie des archives de ses photos sur le site du SCA –> https://imagesdefense.gouv.fr/fr/catalogsearch/advanced/result/?ref_reportage=TERRE+10300

Karine Bourgain – 31 octobre 2024